Etienne Delessert Illuminateur
Infolio, 2025
« C’est de la lumière qui devient de l’ombre… Une paix entre les herbes où rôde une peur étrange… L’enfer et le paradis se sont réunis dans un endroit tenu secret. »
C’est ainsi que le regretté Jean-Claude Carrière évoquait l’œuvre d’Etienne Delessert dans le petit Poche illustrateur édité par le non moins regretté Robert Delpire en 2009. Cette préface inspirée est reprise dans Etienne Delessert Illuminateur, somptueuse monographie que viennent de publier les éditions suisses Infolio. Cet ouvrage accompagne une exposition qui s’est déroulée à l’Espace Arlaud de Lausanne de mars à juin 2025.
On se souvient que, peu de temps avant son décès survenu à Lakkeville, aux États-Unis, le 21 avril 2024, Etienne Delessert avait partagé ses œuvres entre deux prestigieuses adresses américaines, le Norman Rockwell Museum de Stockbridge et la Library of Congress de Washington, et la Bibliothèque et les Archives cantonales de Lausanne. C’est l’ensemble de la donation faite à sa ville natale qui a été exposé à l’Espace Arlaud au printemps dernier.
La monographie se sépare en trois parties.
La première, introduite par le texte de Jean-Claude Carrière précité, s’intitule Delessert ou l’Art de l’enfance, et fait naturellement la part belle aux livres pour la jeunesse. 75 images, remarquablement choisies, y sont reproduites en pleine page : un panorama éblouissant où bêtes, plantes, monstres et gens sont exaltés par la baroque luxuriance des formes et des couleurs.
Le titre de la deuxième partie, Dessins de pub Dessins de presse Mystérieuse alchimie d’un mercenaire… libre, donne le ton du propos signé par son ami journaliste Jacques Poget. Il met en évidence, avec maestria, comment, dans le cadre de travaux de commande, avec quelle virtuosité et quelle liberté, Etienne Delessert a réinterprété autant les cibles publicitaires que les hommes et événements politiques. « Chaque fois, écrit-il, la double pertinence est garantie. Double détente du choc instantané de l’image et du poids progressif de l’idée, qui déploie ses multiples sens au fur et à mesure qu’on en explore les détails et découvre les implications. » Suivent 46 pages d’illustrations issues des grands magazines auxquels il a collaboré, ainsi que une large sélection d’encarts publicitaires et d’affiches criantes d’intelligence et de vigueur, voire de violence, graphiques.
C’est à la critique d’art suisse Françoise Jaunin qu’est dévolue la troisième partie, Etienne Delessert : la grinçante beauté du monde consacrée à son œuvre personnelle de « philosophe saturnien traversé d’inquiétudes métaphysiques ». Elle démontre comment son travail est inclassable et ne peut se rattacher à aucune école. Les allégories graves, parfois brutales, de l’angoisse et de la mort y voisinent avec des paysages lyriques et contemplatifs. Là aussi, l’iconographie (34 pages) est riche et propice à d’émouvantes découvertes.
Parallèlement à cette luxueuse parution, les éditions Infolio ont publié une fort intéressante petite brochure, Etienne Delessert Peintre vaudois, avec, de nouveau, un texte de Jacques Poget qui connaissait intimement notre artiste et en fait un portrait nuancé, lucide, amical, certes, mais sans occulter ses défauts. S’appuyant sur son expérience personnelle, sur les écrits auto-biographiques de Delessert et sur de nombreux témoignages de ses proches (dont je fus), il retrace avec intelligence sa biographie, toutes les tribulations de son parcours professionnel suisse, français et américain, ses échecs et ses succès, en insistant, non sans un certain chauvinisme amusé, sur la profondeur de son enracinement helvète.
Janine Kotwica
14 septembre 2025
www.janinekotwica.com
par : Lu et partagé N°17
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